42

Au berceau de notre passé, je suis étendu sur le dos dans une caverne si basse que je n’ai pu y pénétrer qu’en me contorsionnant, pis même en rampant normalement. C’est là qu’à la lueur dansante d’une torche en résine, j’ai dessiné aux murs et au plafond les créatures de la chasse et les âmes de mon peuple. Quelle illumination que de laisser porter son regard en arrière, à travers un cercle parfait, sur cet ancien combat à la recherche du moment visible de l’âme ! Le temps tout entier vibre à ce cri : « Je suis là ! » L’esprit informé par les géants artistes venus bien après, je dévore des yeux les empreintes des mains et des muscles fluides tracées sur la roche avec du charbon et des peintures végétales. Comme nous dépassons la simple somme d’événements mécaniques ! C’est alors que mon moi anticivique demande : « Comment se fait-il donc qu’ils n’aient pas envie de quitter la caverne ? »

Les Mémoires Volés.

L’invitation à rejoindre Moneo dans son bureau parvint à Idaho tard dans l’après-midi. Le ghola avait passé toute la journée à réfléchir, étendu sur le divan de son appartement. Chacune de ses pensées avait pour origine la facilité avec laquelle Moneo l’avait envoyé au tapis ce matin dans la galerie souterraine.

Vous n’êtes qu’un ancien modèle.

Chacune de ses conclusions diminuait Idaho. Il sentait s’estomper en lui la volonté de vivre, laissant des cendres là où sa fureur s’était consumée.

Je suis le vecteur d’un peu de sperme utile et rien d’autre, se disait-il.

De telles idées invitaient soit à la mort, soit à l’hédonisme. Il se sentait empalé sur la roue du hasard, soumis de tous côtés à des harcèlements irritants.

La jeune messagère, dans son seyant uniforme bleu, n’était qu’un harcèlement de plus. Elle était entrée prudemment quand il l’y avait invitée à voix basse en l’entendant frapper, et s’était arrêtée hésitante sous l’arcade de l’antichambre en essayant de deviner son humeur.

Comme les rumeurs vont vite, songea Idaho.

Telle qu’il la voyait, encadrée dans l’entrée, elle représentait la quintessence des Truitesses. Plus voluptueuse que d’autres, mais pas plus sexuellement outrancière. L’uniforme bleu ne dissimulait ni ses hanches pleines de grâce, ni la fermeté de sa poitrine. Il leva les yeux vers le visage malicieux que surmontait une brosse de cheveux blonds. La coupe des aspirantes.

— Moneo m’envoie prendre de vos nouvelles, dit-elle. Il vous demande de passer à son bureau.

Idaho était déjà allé plusieurs fois dans ce bureau, mais il se souvenait surtout de la première visite qu’il y avait faite. Dès son entrée dans la pièce, il avait compris que c’était là que Moneo passait la majeure partie de son temps. La grande table de travail, en bois brun foncé veiné d’or, faisait deux mètres de long environ et reposait sur des pieds courts et massifs autour desquels étaient éparpillés de moelleux coussins gris. Cette table avait frappé Idaho comme étant quelque chose de rare et de précieux, choisi pour donner un accent unique. Avec les coussins, du même gris que le sol, les murs et le plafond, elle constituait le seul mobilier.

Compte tenu du pouvoir détenu par son occupant, la pièce était petite, pas plus de quatre mètres sur cinq, mais pourvue d’un très haut plafond. La lumière venait d’étroites fenêtres qui se faisaient face sur chacun des deux murs plus petits. De l’une, la vue plongeait jusqu’aux abords nord-ouest du Sareer et une partie de la Forêt Interdite. De l’autre, on apercevait le commencement des dunes, au sud-ouest.

Contraste…

Cela avait été sa réaction initiale, renforcée par l’accent particulier du bureau de travail. Celui-ci présentait un aspect de désordre soigneusement organisé. De minces feuillets de papier cristal étaient éparpillés sur toute sa surface, laissant à peine apercevoir les veinures dorées du bois. Certains feuillets étaient finement imprimés. Idaho reconnut quelques mots en galach et en quatre autres langues, parmi lesquelles l’idiome peu usité de Perth. Plusieurs autres portaient uniquement des diagrammes et quelques-uns, enfin, étaient couverts de caractères noirs tracés au pinceau dans le style orné du Bene Gesserit. Le plus intéressant, cependant, était la présence de quatre cylindres blancs d’un mètre de long : des épreuves tridi issues d’un ordinateur prohibé. Il supposait que le terminal devait être dissimulé dans un panneau mural.

La jeune messagère s’éclaircit la voix pour tirer Idaho de sa rêverie.

— Quelle réponse dois-je donner à Moneo ? demanda-t-elle.

Il la dévisagea.

— Aimeriez-vous que je vous féconde ?

— Capitaine !

Visiblement, elle n’était pas tant choquée par sa proposition que par le passage du coq à l’âne.

— Aaah ! c’est vrai… Moneo, fit-il en s’étirant. Quelle réponse allons-nous lui donner ?

— Il m’a chargée de la lui rapporter.

— Faut-il vraiment que je lui donne une réponse ?

— Il m’a demandé de vous informer que Dame Hwi assisterait à votre entretien.

Idaho éprouva un vague regain d’intérêt.

— Il est avec Hwi ?

— Il l’a priée de venir aussi, fit la messagère. Elle s’éclaircit de nouveau la voix : Souhaitez-vous que je repasse dans la soirée ?

— Non ; j’ai changé d’avis. Merci quand même.

Il jugea qu’elle dissimulait bien sa déception, mais elle reprit d’un ton froidement neutre :

— Dois-je annoncer à Moneo que vous irez le voir ?

— C’est cela.

Il la congédia d’un geste.

Après son départ, il envisagea un instant de ne pas répondre à cette convocation. Cependant, il éprouvait une curiosité croissante. Pourquoi Moneo voulait-il lui parler en présence de Hwi ? Pensait-il que cela le ferait accourir ? Il déglutit. Dès qu’il pensait à Hwi, le vide de sa poitrine devenait douloureusement plein. C’était un signe qui ne pouvait être ignoré. Quelque chose doté d’un terrible pouvoir le liait à Hwi.

Il se leva, ankylosé par une trop longue inaction. Mû par la curiosité et par cette force qui le liait, il sortit dans le couloir et, ignorant les regards inquisiteurs des Truitesses de garde, se dirigea vers le bureau de Moneo.

Hwi était déjà là quand Idaho entra dans la pièce. Elle était assise face à Moneo, de l’autre côté du bureau encombré, sur l’un des coussins gris, les jambes repliées d’un côté. Il vit juste ses chaussures rouges, sa longue robe beige ornée d’une ceinture tressée, puis elle se retourna et il n’eut d’yeux que pour son visage. Ses lèvres formèrent muettement le nom de Duncan.

Elle aussi ressent cette force, pensa-t-il.

Curieusement, il se sentit revigoré à cette idée. Ses réflexions de la journée prenaient un nouveau tour dans son esprit.

— Veuillez vous asseoir, Duncan, lui dit le majordome en indiquant un coussin à côté de Hwi.

Sa voix avait d’étranges hésitations, chose que peu de gens en dehors de Leto avaient eu l’occasion d’observer chez lui. Il gardait les yeux baissés vers la surface encombrée de la table, où la lumière du soleil déclinant projetait l’ombre tentaculaire d’un presse-papiers de fantaisie en forme de montagne cristalline surmontée d’un arbre doré chargé de fruits-breloques.

Idaho occupa le coussin indiqué en regardant Hwi, qui ne le quitta pas des yeux jusqu’à ce qu’il fût installé. Puis elle se tourna vers Moneo, et Idaho crut lire de la colère dans son expression. Le majordome portait comme d’habitude un uniforme blanc sans signe distinctif, au col ouvert qui laissait entrevoir les rides de son cou et le commencement d’un double menton. Idaho le regarda dans les yeux, prêt à être patient, attendant que ce soit lui qui ouvre la conversation.

Le majordome soutint son regard. Il avait remarqué que le ghola avait le même uniforme noir que lors de leur rencontre du matin. Il y avait même quelques flocons de poussière, souvenirs du tapis où l’avait fait rouler Moneo. Mais le ghola n’avait plus à la hanche l’antique poignard des Atréides, ce qui était préoccupant.

— Je me suis conduit ce matin d’une manière impardonnable, commença Moneo. Par conséquent, je ne vous demande pas de me pardonner, mais d’essayer de comprendre.

Hwi ne parut nullement surprise par cette entrée en matière. Cela en disait long, songea Idaho, sur la teneur de leur conversation avant son arrivée.

Voyant que le ghola ne lui répondait pas, Moneo ajouta :

— Je n’avais pas le droit de vous donner une impression quelconque d’inadéquation de votre part.

Idaho s’aperçut qu’il réagissait curieusement à l’attitude et aux paroles du vieux Moneo. Il avait toujours ce sentiment d’être manipulé, surclassé, trop en dehors de son époque, mais il ne soupçonnait plus Moneo de vouloir jouer avec lui. Quelque chose avait réduit le majordome à un substrat d’honnêteté farouche. Cette constatation plaçait l’univers de Leto, l’érotisme lugubre des Truitesses, l’indéniable candeur de Hwi – tout, en somme – sous une optique différente, sous un angle nouveau qu’il pensait comprendre. C’était comme si les trois personnes réunies dans cette pièce étaient les derniers vrais humains de l’univers entier. Il parla sur un ton d’auto-humiliation amère :

— Vous aviez parfaitement le droit de vous protéger lorsque je vous ai attaqué. Je suis heureux que vous ayez été capable de le faire.

Il se tourna vers Hwi, mais avant qu’il eût pu parler, Moneo déclara :

— Inutile de plaider pour moi. Je crois que son déplaisir est irréversible.

Idaho secoua la tête :

— Tout le monde ici sait ce que je vais dire avant même que je l’aie pensé !

— C’est l’une de vos qualités admirables, fit Moneo. Vous ne dissimulez pas vos sentiments. Nous sommes… (il haussa les épaules)… nécessairement plus circonspects.

Idaho se tourna vers Hwi.

— Il parle pour toi ?

Elle plaça sa main dans le creux de celle du ghola.

— Personne ne parle pour moi.

Moneo tendit le cou pour regarder leurs deux mains unies, puis se laissa de nouveau aller en arrière sur son coussin. Il soupira.

— Il ne faut pas faire ça.

Idaho accentua la pression de sa main et la sentit répondre de la même manière.

— Avant que l’un de vous ne me pose la question, murmura Moneo, je vous informe que l’Empereur-Dieu et ma fille ne sont pas encore revenus de l’épreuve.

Idaho sentait l’effort qu’il faisait pour parler calmement. Hwi le sentait aussi.

— Ce que disent les Truitesses est vrai ? demanda-t-elle. Si elle échoue, c’est la mort ?

Moneo demeura silencieux. Son visage avait la pâleur d’un roc.

— Est-ce que cette épreuve ressemble à celles du Bene Gesserit ? demanda Idaho. D’après ce que disait Muad’Dib, il s’agissait surtout d’un test d’humanité.

La main de Hwi se mit à trembler. Idaho se tourna vers elle.

— Les Sœurs te les ont fait passer ?

— Non, répondit-elle, mais j’ai entendu des jeunes qui en parlaient. Elles disaient qu’il fallait être capable d’endurer la souffrance sans perdre son sens de l’identité.

Idaho reporta son attention sur le majordome. Il remarqua que sa paupière gauche était maintenant agitée par un tic nerveux.

— Moneo ! souffla-t-il, frappé d’une soudaine découverte. Vous avez subi l’épreuve !

— Je ne souhaite pas discuter de ça, fit le majordome. Nous sommes ici pour parler de vous deux.

— Est-ce que ce ne sont pas nos affaires ? demanda Idaho.

Il sentit la main de Hwi devenir moite de transpiration dans la sienne.

— Ce sont les affaires de l’Empereur-Dieu, répondit Moneo.

— Même si votre fille échoue ?

— Surtout si elle échoue !

— Quelle a été votre épreuve ? demanda Idaho.

— Il m’a fait entrevoir ce que c’est que d’être l’Empereur-Dieu.

— Et puis ?

— Et j’ai vu tout ce que j’étais capable de supporter.

La main de Hwi serra convulsivement celle du ghola.

— Il est donc exact que vous avez été autrefois un rebelle, murmura Idaho.

— J’ai commencé dans l’amour et la dévotion, fit Moneo. Puis je suis passé à la rage et la rébellion. Et maintenant, je suis ce que vous voyez devant vous. Je sais reconnaître mon devoir et je l’accomplis de mon mieux.

— Que vous a-t-il donc fait ?

— Il m’a cité la prière de mon enfance, fit Moneo d’une voix rêveuse. Je dédie ma vie à la plus grande gloire de Dieu.

Idaho remarqua l’immobilité absolue de Hwi, son regard figé sur le visage du majordome. Mais à quoi pensait-elle ?

— J’ai admis que c’était bien là ma prière, poursuivit Moneo. Et l’Empereur-Dieu m’a alors demandé ce que j’étais prêt à donner si ma vie ne suffisait pas. Il a hurlé : Que vaut ta vie, si tu gardes par-devers toi le plus grand don ?

Hwi hocha lentement la tête, mais seule la confusion régnait dans l’esprit du ghola.

— J’ai reconnu la vérité dans sa voix, fit Moneo.

— Êtes-vous Diseur de Vérité ? demanda Hwi.

— Sous l’emprise du désespoir, oui ; mais seulement dans ces moments-là. Je peux vous jurer qu’il disait la vérité.

— Certains Atréides maîtrisent la Voix, grommela Idaho.

Le majordome secoua la tête.

— Non. Il disait la vérité. Et il a prononcé ces mots : Vois comme je te regarde. Si je le pouvais, je verserais des larmes. Tu peux considérer que l’intention vaut l’action !

Hwi se pencha en avant, touchant presque la table.

— Il ne peut pas pleurer ?

— Les vers des sables… murmura Idaho.

— Comment ? fit-elle en se tournant vers lui.

— Les vers des sables périssaient au contact de l’eau. En les noyant, les Fremen produisaient l’essence d’épice indispensable à leurs orgies rituelles.

— Mais le Seigneur Leto n’est pas encore tout à fait un ver des sables, fit remarquer Moneo.

Hwi se remit en arrière sur son coussin et regarda le majordome.

Idaho plissa pensivement les lèvres. Leto était-il donc soumis à l’interdit fremen en ce qui concernait les larmes ? Les Fremen avaient toujours été horrifiés par un tel gaspillage ? Donner de l’eau aux morts !

Moneo s’adressa à lui :

— J’espérais pouvoir vous faire comprendre cela. Le Seigneur Leto a parlé, Hwi et vous devez vous séparer et ne plus jamais vous revoir.

Hwi retira sa main de celle du ghola.

— Nous le savons, dit-elle.

— Nous connaissons son pouvoir, fit Idaho avec une résignation amère.

— Mais vous ne comprenez pas l’Empereur-Dieu, déclara Moneo.

— Il n’y a rien que je désire davantage, murmura Hwi. Elle toucha le bras de Duncan Idaho pour l’empêcher de protester. Non, Duncan. Nos désirs personnels n’ont pas de place ici.

— Tu devrais peut-être lui adresser une prière, fit Idaho.

Elle pivota vivement et darda sur lui un regard d’une telle force qu’il dut baisser les yeux. Quand elle parla, il y avait dans sa voix une sonorité berçante qu’il ne lui avait jamais entendue.

— Mon oncle Malky disait toujours que le Seigneur Leto était insensible à la prière. Il disait que le Seigneur Leto considérait la prière comme une tentative de coercition, une sorte de chantage exercé à l’encontre du dieu choisi et qui consistait à lui dire : Fais-moi un miracle, ô mon Dieu, ou je ne croirai plus en toi !

— La prière comme forme de hubris, murmura Moneo. L’intercession sur commande.

— Comment pourrait-il être un dieu ? demanda Idaho. De son propre aveu, il n’est pas immortel.

— A ce sujet, je citerai les paroles du Seigneur Leto lui-même, fit Moneo. Je suis tout ce qu’il y a à voir de Dieu. Je suis le verbe devenu miracle. Je suis la totalité de mes ancêtres. N’est-ce pas suffisant comme miracle ? Que peux-tu désirer de plus ? Demande-toi : Où donc existe-t-il de plus grand miracle ?

— Des mots creux, persifla Idaho.

— J’ai persiflé, moi aussi, reprit Moneo. Je lui ai lancé ses propres paroles de l’Histoire Orale : Donne pour la plus grande gloire de Dieu !

Hwi étouffa une exclamation.

— Il m’a ri au nez, poursuivit Moneo. Il s’est esclaffé en me demandant comment je pouvais donner ce qui appartenait déjà à Dieu !

— Vous deviez être furieux ? demanda Hwi.

— Bien sûr. Il s’en est aperçu et il m’a dit qu’il allait m’apprendre à donner pour la gloire de Dieu. Tu remarqueras, a-t-il ajouté, que tu représentes un miracle en tout point identique au mien.

Moneo se détourna de ses deux interlocuteurs pour regarder par la fenêtre du mur de gauche.

— Malheureusement, poursuivit-il, la colère me rendait sourd et je n’étais absolument pas prêt.

— Ohhh ! c’est qu’il est habile ! fit Idaho.

— Habile ? Moneo se tourna vers lui. Je ne le pense pas ; non… certainement pas dans le sens où vous l’entendez. Je crois que le Seigneur Leto n’est guère plus habile que moi dans ce sens.

— Pas prêt à quoi ? demanda Hwi.

— A assumer le risque.

— Mais vous risquiez gros en vous mettant en colère, fit-elle.

— Ce risque-là n’était rien à côté du sien. Je lis dans vos yeux, Hwi, que vous comprenez ceci. Est-ce que son corps vous révolte ?

— Plus maintenant, répondit Hwi.

Idaho grinça les dents de frustration :

— Il me dégoûte !

— Il ne faut pas dire des choses pareilles, mon amour, lui dit Hwi.

— Et il ne faut pas que vous l’appeliez ainsi, murmura Moneo.

— Vous préférez qu’elle apprenne à chérir quelqu’un de plus grossier et de plus sanguinaire qu’aucun baron harkonnen n’a jamais rêvé devenir ! s’écria Idaho.

Moneo remua plusieurs fois les lèvres avant de parler :

— Le Seigneur Leto a quelquefois mentionné devant moi le nom de ce malfaisant personnage de votre époque, Duncan. Je ne crois pas que vous ayez très bien compris votre ennemi.

— C’était un gros, un monstrueux…

— C’était un homme qui recherchait les sensations fortes. La graisse n’était qu’un effet secondaire. Mais peut-être aussi un moyen de choquer les gens, car il adorait choquer son entourage.

— Le baron Vladimir, en tout cas, n’a consumé que quelques planètes, rétorqua Idaho. Tandis que Leto consume l’univers.

— Mon amour, je t’en prie ! murmura Hwi.

— Laissez-le divaguer, fit Moneo. Quand j’étais jeune et ignorant, comme ce crétin et ma Siona, je disais des choses semblables.

— C’est pour cela que vous la laissez mourir dans le désert ? demanda Idaho.

— Mon amour, tu es trop cruel, protesta Hwi.

— Vous avez toujours eu le tort, Duncan, de cultiver l’hystérie, déclara Moneo. Je vous préviens que l’ignorance fleurit sur l’hystérie. Vos gènes sont créateurs de vigueur et vous inspirez sans doute quelques Truitesses, mais vous êtes un piètre meneur.

— N’essayez pas de me faire perdre mon calme, répondit Idaho. Je ne commettrai plus l’erreur de vouloir me battre avec vous, mais ne me poussez pas à bout.

Hwi voulut lui prendre la main, mais il la retira.

— Je sais quelle est ma place, poursuivit Idaho. Je ne suis pas un meneur mais un fidèle partisan. Je porte la bannière des Atréides. Le noir et vert est sur mon dos.

— Les dirigeants indignes se maintiennent au pouvoir en promouvant l’hystérie, dit Moneo. L’art des Atréides est de régner sans l’hystérie. C’est l’art de se montrer responsable dans l’utilisation du pouvoir.

Idaho repoussa son coussin en arrière en se dressant sur ses pieds.

— Depuis quand votre maudit Empereur-Dieu se montre-t-il responsable en quoi que ce soit ?

Moneo baissa les yeux vers la table encombrée et parla sans les relever.

— Il est responsable de ce qu’il s’est fait à lui-même, dit-il. Puis il leva sur Idaho un regard l’embrumé : Vous n’avez pas assez de cœur au ventre pour mériter de savoir la raison pour laquelle il s’est fait cela.

— Mais vous si ? demanda Idaho.

— Lorsque j’étais au paroxysme de la colère, poursuivit Moneo, et qu’il s’est vu à travers mes yeux, il m’a dit… Comment oses-tu être offensé par moi ? C’est alors… Moneo déglutit. C’est alors qu’il m’a fait voir… l’horreur… qu’il avait contemplée. Les larmes jaillirent des yeux du majordome et ruisselèrent sur ses joues. Et je ne pus que m’estimer heureux… de n’avoir pas eu à prendre sa décision… d’avoir le droit d’être un simple… disciple.

— Je l’ai touché, chuchota Hwi.

— Alors, vous savez ? lui demanda Moneo.

— Sans avoir eu besoin de voir, je sais, oui.

A voix basse, Moneo murmura :

— J’ai failli mourir de cette expérience. J’ai… Il eut un haut-le-corps puis se tourna vers Idaho. Vous n’avez pas le droit de…

— Allez tous au diable ! jeta Idaho.

Il pivota sur ses talons et sortit précipitamment.

Hwi le suivit des yeux, le visage figé en un masque d’angoisse.

— Duncan… murmura-t-elle.

— Vous voyez ? lui dit Moneo. Vous vous trompiez. Ni les Truitesses ni vous n’avez pu l’apaiser. Mais vous, Hwi, vous avez seulement contribué à sa destruction.

Elle tourna son angoisse vers Moneo.

— Je ne le reverrai plus jamais, fit-elle.

Pour Idaho, le retour dans ses appartements fut l’un des moments les plus pénibles de tous ceux dont il gardait le souvenir. Il essayait de faire comme si son visage était un masque de plastacier qu’il tenait figé pour dissimuler le tourbillon intérieur de ses émotions. Aucune des gardes devant lesquelles il passait ne devait voir sa douleur. Ce qu’il ne savait pas, c’était que la plupart devinaient aisément ce qu’il pensait et éprouvaient pour lui une réelle compassion. Elles avaient toutes côtoyé un ou plusieurs Duncan et elles avaient appris à les déchiffrer sans erreur.

Dans le couloir qui conduisait à sa porte, il aperçut Nayla qui se dirigeait lentement de son côté. Quelque chose dans son visage, un air d’indécision et d’égarement le poussa soudain à s’arrêter en lui faisant presque oublier ses préoccupations intérieures.

— Amica ? dit-il quand elle ne fut plus qu’à quelques pas de lui.

Elle tourna vers lui sa figure carrée que la compréhension anima soudain.

Quel étrange visage a cette femme, se dit Idaho.

— Je ne m’appelle plus Amica, dit Nayla, et elle passa son chemin.

Idaho suivit quelque temps des yeux ce dos massif qui s’éloignait, ces rudes épaules dont le balancement révélait la terrible puissance.

En vue de quoi a-t-elle été conçue, elle ? se demanda Idaho.

Ce ne fut qu’une pensée rapide. Ses préoccupations du moment revinrent bientôt en force. Il parcourut rapidement les quelques mètres qui le séparaient de sa porte et rentra chez lui.

Une fois à l’intérieur, il demeura un long moment sans bouger, les poings crispés contre ses hanches.

Je n’ai plus d’attache avec aucune époque, songea-t-il. Et ironiquement, ce n’était pas une pensée libératrice. Il savait cependant qu’il avait agi de sorte à libérer Hwi de son amour pour lui. Il était à présent diminué à ses yeux. Bientôt, elle ne penserait plus à lui que comme à un pauvre imbécile irascible et incapable de maîtriser ses émotions. Bientôt, il disparaîtrait de ses préoccupations urgentes.

Et ce pauvre Moneo !

Il voyait très bien les circonstances qui avaient formé le malléable majordome. Responsabilité et devoir. Un havre bien commode au moment des décisions difficiles.

J’ai été comme lui, autrefois, songea Idaho. Mais c’était dans une autre existence, un autre temps.

 

L'Empereur-Dieu de Dune
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